mardi 12 juillet 2016

25 mai: Terre libérée, souveraineté inassouvie, institutions confisquées et réformes introuvables


Le 25 mai 2000, Tsahal entamait un retrait forcé acculée par l’action continue, les coups d’éclats et de butoirs d’une Résistance déterminée, tenace et héroïque. Ce retrait sans négociations ni accord préalable d’un territoire arabe constitue une première dans les annales du conflit israélo–arabe ; la preuve s'il en fallait qu'Israël ne comprend et ne respecte que le langage de la force et la logique de la confrontation[1]. Ce n’est pas un hasard si Hassan Nasrallah est à ce jour l’un des seuls leader arabe à exercer un tel pouvoir d’influence et à avoir un  tel impact tant sur les dirigeants que sur l’opinion publique en Israël.  Aussi, chacun de ses discours, de ses prises de positions, chacune de ses mise en garde, de ses menaces sont scrutées, prises très au sérieux, font l’objet d’une large couverture médiatique et suscitent de fortes réactions chez les dirigeants politiques, sécuritaires et militaires.
Seize ans plus tard, la donne n’est plus la même, loin s’en faut.
Le contexte, tant international, régional, que local, a changé et la géopolitique du Moyen Orient a connu des bouleversements considérables. Le Liban a subi de nombreuses secousses, dont une autre libération suite au retrait des forces syriennes, l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, la guerre de 2006 et ses conséquences ainsi que la longue confrontation stérile entre les deux blocs du 14 et 8 Mars. Des secousses qui n’ont pas épargné l’ensemble du monde arabe, Etats, régimes, nations et peuples confondus, modifiant profondément la configuration, les équilibres, les rapports de forces et alliances.
Ces bouleversements durables aux incidences toujours en cours n’épargnent pas le Hezbollah, ses alliés régionaux et ses soutiens locaux.
La perception, la nature et le rôle de cette « résistance » s’en trouvent modifiés et éprouvés ; elle est désormais confrontée  à des menaces protéiformes à la fois internes et externes. Source de tension au niveau national, le Hezbollah est considéré comme un danger tant au niveau local que régional. Même la guerre de 2006 et sa victoire face à Israël, du moins sa non-défaite ou sa victoire par défaut, ne sont paradoxalement pas parvenu à dissiper les réserves et les remises en cause quant à la légitimité et la légalité de son rôle, bien au contraire les animosités n’ont fait que croitre.

La menace israélienne est plus présente que jamais ; elle nécessite vigilance, fermeté et dissuasion face au gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël et le moins disposé à signer la paix. Il n’en demeure pas moins  la nature des opposants et des ennemis, internes et externes, s’est considérablement diversifiée ; ils sont désormais plus nombreux et leur présence géographique est plus diffuse notamment depuis la guerre en Syrie où le Hezbollah a adopté le principe de la « Meilleure défense c’est l’attaque ». Aussi, de nouveaux fronts se sont ouverts et les défis - politiques, militaires et économiques - se sont multipliés contraignant la « Résistance » à adapter ses réponses, son discours ainsi que sa stratégie, notamment face aux groupes armées djihadistes.

De symbole de la lutte contre Israël, du plus prestigieux mouvement de libération arabe, le Hezbollah se retrouve labélisé en tant que groupe terroriste par le CCG, la ligue arabe et l’OCI, alors même qu’il est représenté au sein des institutions libanaises et que son statut de  résistance à été entériné par plusieurs déclarations ministérielles depuis 2005. Une criminalisation qui plus est intervient 10 ans après un deuxième succès face à Israël, qualifié de « Victoire Divine » par le Hezbollah à l’issue de la guerre dites des 33 jours.

« Terroriste » est un terme générique utilise par des Etats ou  des envahisseurs pour discréditer un mouvement et en délégitimer les actions. L’unanimité de façade autour du Hezbollah et de son rôle s’est lézardé, mise à mal par la guerre de 2006 et l’assassinat de Hariri. Son image de « résistance » nationale s’est érodée au fur et à mesure qu’il s’est invité dans le jeu politique interne et que son rôle régional s’est développé au détriment de sa dimension nationale. Il se présente désormais sous une double casquette, celle d’une « résistance » contestée, encore plus depuis qu’elle est impliquée hors des frontières libanaises, et celle d’un parti politique immergé dans le système de pouvoir libanais; enlisé à l’instar des autres acteurs politiques dans une logique communautaire et sectaire.
Le passage d’un statut de résistance à celui de parti est un phénomène complexe et périlleux ; il constitue souvent une pierre d’achoppement au processus de reconstruction étatique et de recouvrement de la souveraineté.

L’intégration des mouvements de résistance et de libération nationale[2] dans les périodes post-libération ainsi que leur désarmement sont des problématiques courantes aux pays victimes d’occupations. Cette question est d’autant plus délicate lorsque l’occupation d’un pays se couple d’une guerre civile sur base confessionnelle.

A plus d’un aspect, le cas du Hezbollah ce distingue par sa singularité et une grande complexité, ce qui ne simplifie pas la donne. Ce dernier dispose toujours de sa branche armée et d’un arsenal militaire considérable qui n’a eu cesse de se renforcer et ce en dépit de l’existence d’un Etat, nonobstant ses faiblesses et ses suffisances, et d’une armée nationale existante mais aux moyens limités.
De plus, sa composition confessionnelle homogène et l’exacerbation du conflit sunnite-chiite, rendent cette question encore plus insoluble.
Enfin sa liberté d’action vis-à-vis de l’Etat libanais ; sa propension à intervenir au-delà des frontières ; ses liens avérés et reconnus avec l’Iran, les ramifications et enjeux régionaux des conflits sont autant de facteurs qui font que le Hezbollah déborde le cadre national libanais.

Quoi qu’il en soit, le 25 mai, le Liban a connu un regain de souveraineté relative, une libération certes mais incomplète non seulement parce qu’une partie du territoire demeure sous occupation  mais aussi parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une autre libération tout aussi essentielle : celle des esprits, des consciences, des peurs, des complexes, de la mémoire, de l’individu, du citoyen, des pratiques déviantes confessionnelles et clientélistes, du suivisme, de la corruption, de l’inertie du système politique, du dysfonctionnement des institutions, d’une culture politique déficiente et anachronique. S’il a recouvré en partie sa souveraineté territoriale, le Liban n’est pas parvenu pour autant à récupérer sa souveraineté politique, son autonomie décisionnelle, ni à procéder à des changements et des réformes politiques, administratives et constitutionnelles. Il a ainsi maintenu en l’état des institutions héritées de l’occupation mais aussi les pratiques politiques qui s’y rattachent. Aussi, il ne parvient pas à se défaire des insuffisances, des incohérences et des contradictions de sa Loi organique. En résulte un blocage politico-institutionnel quasi permanent couplé d’une difficulté systématique à procéder au renouvellement des élus ainsi qu’aux nominations dans l’appareil d’Etat

Ainsi, depuis 2014, le 25 mai[3] représente aussi un évènement moins heureux, celui de la vacance présidentielle qui est entrée dans sa troisième année. L’incapacité, désormais chronique, à élire un président, tout comme à renouveler les institutions, le mandat des élus et à procéder aux nominations administratives et sécuritaires sont le signe certain de l’essoufflement démocratique du système libanais et de la défaillance  de ses  mécanismes constitutionnels.

Certes les armes du Hezbollah constituent à la fois un obstacle, non des moindres, et un prétexte à l’avènement d’un Etat de droit, au fonctionnement des institutions, au respect du jeu démocratique et à la souveraineté régalienne du Liban.  
L’incapacité à mettre en œuvre une stratégie de défense claire et cohérente afin de codifier l’action du Hezbollah et l’usage de ses armes contribue à exacerber un climat déjà tendu.
La formule « Peuple, armée, résistance », adoptée par certaines déclarations ministérielles, ne fait sens et ne serait être constructive que si elle est encadrée par l’Etat. Une telle équation suppose un ordonnancement, l’existence d’une hiérarchie à la tête de laquelle se trouve l’Etat et le pouvoir politique. Le peuple est partie intégrante de l’Etat, il en est un élément constitutif ; c’est du peuple, détenteur supposé de la souveraineté, que procède l’Etat. Tant l’armée que le peuple sont soumis à loi, à l’autorité civile et au pouvoir politique issu du suffrage universel. Cela est d’autant plus vrai pour la « résistance » qui doit allégeance à l’Etat et donc au peuple qui en est partie intégrante et l’élément constitutif. Du reste c’est du peuple, détenteur supposé de la souveraineté, que procède l’Etat.
Aussi, l’action de la résistance pour être légitime et légale doit se faire en coordination et sous le contrôle des forces armées ce qui implique une subordination de fait. Ni « règle en or » ni « règle en bois » mais plutôt une exception en or. Aussi cette formule nécessite le rajout d’un quatrième élément déterminant, dont la présence devrait aller de soi, et qui chapeaute le tout : l’Etat. A circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Par nature, toute exemption se doit d’être provisoire, définie dans le temps et la durée ; présenter des objectifs et une finalité univoques, être rigoureusement encadrée et codifiée quant aux modalités de son action et de sa coordination avec les appareils sécuritaires étatiques. C’est à cette condition que le Hezbollah peut constituer un véritable facteur de puissance pour le Liban ; faute de quoi il sera irrémédiablement à terme, une cause de dissension et de faiblesse.[4]
Des ambiguïtés et des confusions que ni le Hezbollah, ni ses alliés encore moins ses détracteurs ne sont parvenus à dissiper faute d’un dialogue sérieux, ciblé, adapté, technique et rationnel. Dès l’origine, les négociations autour d’une politique de défense ont été biaisées dans les termes mêmes du débat, et ce pour d’innombrables raisons : Pressions et interventions extérieures, intentions équivoques, manque de bonne volonté, méfiance mutuelle, amateurisme des participants, approche erronée, inadaptée et politisée de la question, attitude velléitaire du Hezbollah, agendas régionaux variés et antinomiques.

S’il dispute à l’Etat le monopole de la souveraineté, le Hezbollah contribue aussi paradoxalement, et d’une certaine manière, à la protéger. S’il expose le Liban, pour certains aux répercussions de la guerre en Syrie, pour d’autres aux représailles israéliennes, il n’en renforce pas moins de façon substantielle les moyens défensifs et la force de dissuasion du pays au point même d’instaurer un nouvel équilibre des forces face à Israël. Il constitue aussi une carte inestimable dans le cadre de future négociation de paix pour le règlement, plus hypothétique que jamais, du conflit israélo-arabe, mais aussi, du fait de son poids sur le terrain, éloignerait le spectre de tout accord en Syrie qui se ferait au détriment du Liban. Pour beaucoup, il est aussi depuis toujours un rempart contre l’implantation palestinienne et à présent contre celle des Syriens ainsi qu’un contrepoids utile à l’intégrisme sunnite. Il a joué un rôle militaire essentiel en contenant et repoussant les mouvements djihadistes, tant le Front el Nosra que Daech au Liban, épaulant efficacement l’armée libanaise notamment dans le Jurd d’Ersal et de Qaa. Une coordination de fait - constante, permanente et déjà ancienne -  avec l’armée libanaise, motivée par des impératifs stratégiques évidents et qui n’aura pas attendu l’hypothétique mise en place d’une stratégie défensive pour produire ses effets.
Aussi, son rôle et l’étendue de son action ont évolué au fur et à mesure des menaces, mais la question des limites et de la finalité de son action demeure plus pertinente et légitime que jamais de même que les inquiétudes qu’elle suscite.
Il n’en demeure pas moins que l’ensemble des ratés, des échecs, des blocages et des dysfonctionnements du système politique, ainsi que le déficit démocratique et les atteintes répétées à la Constitution ne sauraient être attribués au seul Hezbollah, loin s’en faut. S’il est partie prenante du problème, il n’en est pas la seule et encore moins l’unique source. En effet, les responsabilités sont partagées et diffuses ; les causes nombreuses, multidimensionnelles et protéiformes.
Le Liban souffre avant tout de difficultés d’ordre structurelles, pour certains biens antérieures à l’apparition du Hezbollah et liés à l’essence même du système politique libanais. A cela s’ajoute d’autres facteurs explicatifs, et non des moindres, qui participent à la faillite de l’Etat : Les atteintes répétées au principe sacro saint de la parité ; la non application de nombreuses réformes prévues par les accords de Taëf, le plus souvent au détriment des chrétiens et du fonctionnement des institutions ; l’exigence systématique de consensus, leitmotiv des forces politiques qui ne couvre pas les règles institutionnelles et politiques encore moins les questions fondamentales comme celles relatives à l’interprétation de la constitution, à la politique de défense, à la politique étrangère, à la loi électorale et de nombreuses autres qui touchent à la parité, au pacte et à la formule.
Enfin, l’inaptitude et l’incohérence des dirigeants, leur impunité chronique, leur manque de culture démocratique (A l’instar des gouvernés), participent aussi au dysfonctionnement du système politique.

Seize ans après la libération du Sud-Liban, les forces politico-confessionnelles sont encore trop occupées à s’affronter et à se défaire tant les unes des autres que du pacte qui les lie. Plus que jamais,  le Liban doit s’émanciper  du statu quo du vide et entamer un vaste chantier de réformes politiques, administratives et juridiques existentielles pour le modèle libanais de coexistence et de gestion égalitaire du pluralisme. Il est impératif  de rationaliser le système confessionnel libanais et les mécanismes de sa démocratie consociative mais aussi de parvenir à une meilleure compréhension et une traduction juridique et institutionnelle des termes du pacte national et de la formule, afin de permettre l’avènement d’un Etat civil et l’émergence d’un citoyen détenteur d’une véritable souveraineté juridique et politique.



[1] Au cours de sa courte histoire, l’Etat hébreux n’aura consenti à des concessions, des négociations, des accords ou des rétrocessions de territoires que lorsqu’il dût faire face à des oppositions acharnées, des résistances armées, des revers militaires et des modifications de rapports de force.
[2] Que ce soit en tant que supplétifs à un Etat absent, avili ou occupé, ou en tant que soutien à un Etat affaibli, défaillant ou à la souveraineté amputée.

[3] Par ailleurs cette date coïncide, à un jour près, avec celle de l’élection il y a 90 ans, du premier président de la république libanaise Charles Debbas, élu le 26 mai 1926, trois jours après l’adoption de la première constitution  libanaise, 23 mai 1926.
[4] La stratégie de défense, ses objectifs, ses modalités et sa mise en œuvre constitue un sujet fort complexe, une question  qui nécessiterait une étude approfondie.

Le temps ne fait rien à l'affaire ...

  
Est déconcerté par la lecture des navets du jour, émanations pudibondes d’une certaine presse acerbe et amer, qui en dépit de s’être trompée inlassablement n’a rien gagné en humilité ni en objectivité. Extrêmement prolixe en ce jour anniversaire de la guerre de Juillet 2006 elle s’en donne à coeur joie pour ressasser tous ses idiomes et ses incontournables sujets de prédilections;  il est vrai qu’elle n’a plus que rarement l’occasion de fanfaronner encore moins de se réjouir des éventuelles déconvenues de celui qui fait l’objet de toutes leurs attentions et occupe toutes leurs pensées. Par contre ce ne sont pas les occasions qui manquent de s’apitoyer des déconfitures de ceux qu’ils ont longtemps porté au pinacle des valeurs et de l’héroïsme. 

Est tout autant sidéré face à un tel étalage de mauvaise fois, de stupidité et d’inconscience; par l’expression sans freins de tant de frustrations et de complexes que rien ni personne ne semble pouvoir exorciser. Des obsessions et un entêtement tant à l’épreuve des faits que de la raison ; des analyses de haute volée et voltige, inchangée depuis 2006, comme gravées dans le marbre, et cela en dépit des évolutions, des bouleversements intervenus ces dix dernières années. Rien n’y fait,  ni l’agressivité exacerbée d’Israël et la montée de l’extrême droite ; ni l’échec du processus de paix; ni les effets indésirables du « printemps arabe ; ni le déferlement de l’intégrisme et du terrorisme sur le monde et l’implication de puissances régionales ; ni le bilan désastreux de la guerre d’Irak ; ni l’abime syrienne et ses répercussions ;  ni l’accord sur le nucléaire ; pas même les suffisances et la précarité des promesses de la communauté internationale, son impuissance avérée, son inertie et sa passivité en Syrie, son hypocrisie à l’égard des réfugiés, sa responsabilité dans l’implosion du monde arabe et dans la montée de Daesh et enfin son silence et sa déférence face à Israël. Tous ces éléments n’y changeront rien, toujours chez ses tartuffes cette même rengaine, cette inusable rhétorique que rien n’aura entamé sur l’unilatéralisme du Hezbollah et sa responsabilité univoque dans la guerre des 33 jours.
Toujours cette propension à contester les faits, même les faits d'armes, et les résultats même quand ils revêtent une quelconque dimension positive; et cette incapacité endémique à reconnaitre les mérites, quitte à les relativiser, les réalisations ainsi que les conséquences de la déroute inédite de Tsahal. 
Alors quoi, seul Israël aurait le droit à l’unilatéralisme, au fait accompli, à l’impunité et à l’initiative absolue au Liban, en Palestine, dans la guerre comme dans la paix ?
Le Liban serait-il à jamais condamner à assumer unilatéralement les actes d’Israël, à en payer le prix et à s’en tenir à une posture de faiblesse ? doit-il se priver de capitaliser ses rares atouts et d'investir ses facteurs de puissances ?
La guerre de 2006 n'a été ni voulue, ni recherchée par le Hezbollah, même s'il en a été un déclencheur et qu'à ce titre il en assume aussi la responsabilité. Cette agression  a été décidée, planifiée, préméditée et déclenchée par Israël, qui n'a jamais été à cours de prétexte pour partir en guerre. Elle devait servir des dessins bien précis partagés par de nombreux autres acteurs régionaux et qui n'auraient pas desservis certaines parties libanaises. Si victoire incontestable il y a, elle réside dans la mise en échec des objectifs qui ont motivé cette offensive. 
A mon grand regret, il faut reconnaître que ce qu’il y a de plus unilatéral chez beaucoup en nos contrée ce sont surtout l’approche et la lecture des évènements ainsi que l’aveuglement et la bêtise sans bornes. De la bêtise avant toute chose et pour cela préfère me taire avant que de commettre moi même trop d'impairs ...