jeudi 18 janvier 2018

LA STRATEGIE AMERICIANE EN SYRIE, EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE

"Il est crucial, pour notre intérêt national, de maintenir en Syrie une présence militaire et diplomatique ", a affirmé Rex Tillerson lors d’un discours sur la stratégie américaine en Syrie prononcé à Stanford, en Californie. La mission prioritaire étant que "l'EI ne refasse pas surface" mais aussi faire en sorte de ne pas fournir à l'Iran « une occasion en or de renforcer encore davantage ses positions en Syrie ». Il s’agit clairement de contenir essentiellement l’Iran, mais aussi la Russie, notamment son emprise sur le processus de recherche d’une solution politique, et de rassurer par la même occasion leurs alliés israéliens, saoudiens, mais aussi plus généralement les puissances sunnites.

Une stratégie « nouvelle » sous certains aspects mais qui ne représente en aucun cas une rupture avec celle adoptée par l’administration Obama. Rien de nouveau sous le soleil hormis peut être un revirement de l’administration Trump concernant l’avenir de Bashar Assad. En effet, Rex Tillerson a fait pour la première fois le lien entre la présence américaine et la nécessité d’aboutir au départ de Bachar Al-Assad :
« Une Syrie stable, unie et indépendante nécessite, in fine, un leadership post-Assad pour voir le jour », il a aussi estimé qu’un « départ » du président syrien, dans le cadre du processus de paix sous l’égide de l’ONU, « créera les conditions pour une paix durable ».

Non seulement les Etats-Unis restent en Syrie, ils possèdent plus de 2000 hommes dans le Nord du pays, mais ils vont intensifier leur engagement et étendre leur action. Une stratégie de confrontation et de « containement » visant à renverser le rapport de force sur le terrain et qui a déjà fait ses preuves avec les résultats que l'on connait. Elle consiste essentiellement à alimenter le conflit, à reprendre et intensifier la livraison d'armes à certains groupes rebelles, non seulement aux Kurdes mais aussi à des groups Djihadistes ou islamiste comme “Falak Al Sham”, à former des contingents de combattants, à soutenir les fronts au sud-est de la province d'Idleb, dans l'Est de la Ghouta et au nord-est de Hama, où les groupes rebelles, notamment Ahrar al-Sham, l'ex-Front al Nosra, opposent une résistance féroce aux offensives du régime.
Mais il s'agirait surtout de réactiver les fronts du Rif de Lattaquié à l'Ouest du pont Choughour, d'où l'armée syrienne avait expulsé les groupes rebelles il y a plus de deux ans ainsi que tout le long de la bande frontalière avec la Turquie.

L'objectif militaire américain principal serait de garantir l'accès à la côte méditerranéenne et à l’enclave de la région Kurde qu'ils ambitionneraient de créer en Syrie. Une région qui, sans un tel accès, sera encastrée et dépendra de manière critique des voies d’approvisionnement via la Turquie ou l’Irak.
Tout porte à croire en effet que les États-Unis envisagent de créer dans le nord de la Syrie, sur le territoire s'étendant de l'Euphrate à Deir ez-Zor, une structure d'État fédéral avec les risques de partition que cela comporte. Cette stratégie empêcherait une reprise de contrôle par le régime de l’ensemble de la Syrie notamment sur les territoires précédements conquis par l’Etat Islamique. Riches en hydrocarbures ils representent près d’un tiers de la Syrie.
Le 20 Octobre les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabe-kurde soutenue par les Etats-Unis reprenaient Raqqa la capitale de l'Etat Islamique 

Elle bénéficie de l'appui israélien dont l’aviation a multiplié récemment ses raids contre les positions pro-régime. 
Mais cette stratégie risque fort d'être mise à mal par les Turcs dont la position est intenable et dont les menaces d'intervention directe dans le Nord de la Syrie sont à prendre au sérieux même si elle représente une opposition frontale aux dessins américains.  Il n’empêche que la carte Kurde constitue un point de convergence essentiel entre Moscou, Ankara, Damas et Teheran et que les orientations de l’administration Trump au Proche Orient élargissent le fossé qui séparait déjà les deux alliés de l’OTAN.

Alors que Donald Trump avait déclaré que les livraisons d’armes aux milices kurdes YPG dans le nord de la Syrie cesseraient, il s'est avéré qu'il n’en est rien, et les bases militaires américaines s'y multiplient. Enfin la décision de créer une force de 30 000 hommes composée de Kurdes et d’Arabes, sorte de « force frontalière » permanente au nord-est de la Syrie est un indicateur supplémentaire des intentions de Washington. Cette force contrôlerait également à l’est une bande importante de la frontière avec l’Irak. Une tentative qui n’est pas sans rappeler le programme de formation et d’équipement des rebelles syriens dits « modérés » lancé en Janvier 2015 et qui avait été suspendu en Octobre 2015.  La mise en place de cette force, sa composition, sa mission et les circonstances sont certes complétements différentes. En effet, lors du précédent programme qui fut un échec absolu, seuls 54 combattants avaient été formés à la mi-septembre sur les 5000 prévus la première année du programme.

Plus que jamais la Syrie demeure le terrain de jeu des luttes d'influences des puissances régionales et internationales, en proie à leurs ententes conjoncturelles et de leurs divergences stratégiques.  Plus que jamais la donne est compliquée, la paix semble hors de portée et le processus politique reste l'otage des développements militaires sur le terrain ; l’ensemble des protagoniste, régime et « oppositions » ainsi que leurs alliés respectifs continuent de tabler sur une issue militaire :


Le régime caresse encore l'espoir de reprendre le contrôle de l’ensemble du pays, du moins l’essentiel de la Syrie dite « utile » et de maintenir la jonction à la frontière avec l’Irak qui assure une continuité stratégique et un ravitaillement à "l'axe de résistance "de Teheran jusqu'à Beyrouth; pour l’opposition une tentative de renforcer les positions qu’il lui reste, voir reconquérir en partie le terrain perdu, d'investir certaines des zones reprisent à Daesh et assurer des points de contrôle frontaliers avec la Turquie et la Jordanie.  L'année 2018 s'annonce comme celle d'un retour à l'escalade et d'une intensification des combats alors que d'Astana à Genève les pourparlers de paix sont toujours dans l'impasse en raison des mêmes écueils ; les derniers développements ne sont pas de nature pour le moment à favoriser une solution politique.

Carte : le-blog-sam-la-touch.over-blog.com