A présent que votre élection semble assurée, j’aimerai m’adresser au
futur président de la République française et non plus au candidat soumis aux
impératifs de la campagne électorale.
Permettez-moi de vous interpeller sur une question de politique
étrangère, domaine où vous êtes encore novice et sur lequel vous avez été, fort
heureusement pour vous, peu sollicité. J’aimerai plus particulièrement insister
sur la question de la Palestine, grande laissée pour compte de la campagne et
m'étendre sur vos déclarations dont certaines sont presque passées inaperçues,
ou du moins ont été très peu débattues et commentées.
On s’en est considérablement pris à M. Mélenchon, à raison, quant à ses
déclarations - pour le moins contestables et simplistes - sur la Syrie et qui
lui ont d’ailleurs valu le désaveu de nombreux militants de gauche. Mais qu’en
est-il de vos positions concernant le conflit israélo-palestinien ?
Contrairement à M. Mélenchon, à M. Fillon ou à Madame Le Pen, vos prises
de position ont bénéficié d’une indulgence hors normes même si à leur instar
vous faites aussi preuve d'une indignation sélective. Mais revenons, si vous le
permettez, sur le contenu de vos déclarations ainsi que sur le diagnostic et
les solutions, usitées et réchauffées, que vous proposez.
Vous déplorez, à raison, le recul de la France, de sa présence et de son
rôle au Moyen Orient. Un constat lucide, amer et indiscutable que l'on pourrait
imputer essentiellement à une série de choix hasardeux, incohérents et
imprudents qui remontent au mandat du président Sarkozy et qui furent maintenus
en partie par le président Hollande. Une ligne sinueuse maintes fois désavouée
tant par les faits et les résultats que par les alliés même de la France.
Autant sur la Syrie que sur l’Iran, la France s’est retrouvé isolée,
marginalisée et sur la touche. Du reste, il est inutile de revenir sur les
conséquences désastreuses de l’intervention en Libye, sur le silence
assourdissant autour du Yémen ou sur les relations indécentes avec l’Arabie
Saoudite et le Qatar.
Mais revenons-en à la Palestine objet de notre désaccord dont le point
de départ remonte à votre déplacement à Beyrouth, symbole de la résistance
arabe à Israël, capitale d'un pays toujours sous occupation, qui paye encore le
prix fort de la cause palestinienne, de la guerre en Syrie, du terrorisme et de
la montée des mouvements djihadistes.
C'est ici même que vous avez eu l’arrogance et l’irrévérence de vous
déclarer contre le mouvement de boycott des produits israéliens en provenance
des territoires palestiniens occupés, reconnus comme tels par la justice
internationale et les résolutions des Nations Unis. Vous avez également refusé de vous exprimer sur l’idée d’une reconnaissance
de l’Etat de Palestine, alors qu'elle fait désormais l'objet d'un
large consensus et qu'elle est déjà intervenue dans les faits et dans le droit.
Vous vous êtes aussi prononcé contre les pressions
exercées à l’encontre d’Israël.
En substance vous avez inconsidérément tenu les propos
suivants :
« Le boycott d’Israël a été condamné par la France et
il n’est pas question de revenir là-dessus » avez vous déclaré lors d’une
conférence à l’Ecole supérieure des affaires, en référence à un arrêt de la
Cour de cassation, en 2015, qui a rendu ce mot d’ordre illégal.
Alors que tous avaient encore en mémoire les polémiques
autour de la Conférence de Paix qui s’était tenue une semaine auparavant à
Paris - une réunion dont Israël a critiqué la volonté de vouloir imposer de
l’extérieur une solution au conflit, allant jusqu’à faire le parallèle odieux
avec l’affaire Dreyfus - vous avez réaffirmé, toujours depuis le Liban, votre
soutien à une solution à deux États, et votre refus d’orienter la politique
israélienne en exerçant une pression diplomatique ou économique. Une
manière selon vous de faire entendre une autre voix mais une approche usitée
qui s’apparente toujours à la langue de bois et dont l'inefficacité est
avérée.
Alors ministre de l’Économie, vous avez même affirmé
lors d'une visite en Israël votre volonté d’intensifier les relations
commerciales franco-israéliennes notamment dans le secteur de l’énergie :
« J’ai fait part de notre volonté, au travers des entreprises françaises,
de participer à l’ouverture du marché du gaz en Israël ».
Plus tôt en 2016, un signal, volontaire ou non, avait été
envoyé aux partisans du BDS. Lors de protestations faisant suite à la Loi
Travail, un homme portant un maillot arborant le slogan « Free
Palestine » vous avait abordé et vous lui aviez alors répondu
: « Vous n’allez pas me faire peur avec votre T-Shirt ! ».
Dans votre optique il s’agit donc de « laisser faire,
laisser aller », de ne rien faire et surtout de n’exercer ni pression ni
contrainte sur Israël… Une stratégie inefficace dont le seul résultat a
toujours été le sabordage du processus de paix. En aucun cas il ne faudrait
bousculer et indisposer Israël ; il suffit donc de compter sur la bonne
foi et la bonne volonté de ses dirigeants et leur soif de paix. On conviendra,
au demeurant, qu'il soit plus aisé et moins périlleux de
mettre la pression sur les plus faibles, les Palestiniens en l’occurrence.
Des propos irrecevables, irréalistes et déplorables qui traduisent soit
une inquiétante naïveté, soit une regrettable méconnaissance des faits, du
droit international et de l’histoire, soit une insoutenable mauvaise foi de
votre part. Votre position est désastreuse pour la France, pour les Français de
confession juive ou musulmane, pour l'ensemble du monde arabe, pour le peuple
palestinien, ses droits et sa dignité, et enfin pour l’avenir d’Israël, sa
démocratie et sa sécurité. Pour un candidat qui respire la
modernité, qui se veut progressiste, humaniste et démocrate et qui
s'érige en rempart au F.N., on aurait osé espérer mieux.
Cette position est d’autant plus incompréhensible et paradoxale que vous
avez décrété d’Alger que le colonialisme était « un crime contre
l’humanité » ! Vous voici pourtant bien indulgent et timoré à l’égard
du dernier Etat colonialiste de la planète.
Certes, il est bien plus facile, et moins couteux, de s’en prendre aux
expéditions coloniales du XIXème siècle et de s'exprimer avec le
recul que de dénoncer ceux qui sont toujours en cours. Hormis quelques voix
indignées émanant de l'extrême droite ou de la droite républicaine dure, de
nostalgiques du "temps béni" des colonies et d’anciens de la
Coloniale, vous ne risquez pas grand chose ou
si peu. Des mécontents qui ne sont pas en mesure de peser sur
l’élection ni de vous porter préjudice; bien au contraire il est de bon
ton de les avoir à dos et l’on sait d’avance où iront leurs voix.
Pourtant le colonialisme auquel s'adonne Israël est le pire de tous, ne
fut-ce que parce qu’il est encore d’actualité au XXIème siècle et
qu'il se poursuit de manière éhontée, en toute illégalité et impunité. Les
colonies et leur extension ont pourtant été clairement condamnées par la
France, par l’Europe et par l’ensemble de la communauté internationale. La
colonisation a été définie pour ce qu’elle est : du racisme et de
l’apartheid. Elle a même fait l’objet, pas plus tard qu’en décembre 2016,
d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unis à laquelle même les
Etats Unis se sont abstenus d’apposer leur véto.
Effectivement, le colonialisme peut être défini comme un crime contre
l’humanité, a fortiori celui de
l'Etat d'Israël. La politique coloniale suivie par le mouvement sioniste
n’essaye même pas d’entretenir l’illusion de
vouloir véhiculer le « progrès » et « la
civilisation » et de faire avancer la cause des peuples colonisés. Elle ne
cherche pas à coloniser les êtres mais uniquement leurs terres qu'elle tente de
s'approprier pour en éradiquer les propriétaires et leur culture. Une
annihilation pure et simple, une volonté de rayer de la carte un peuple et une
nation. Elle ne prétend apporter aucun « bienfait »; elle ne
vise à établir ni statut organique, ni infrastructures, ni services publics ni
bien être économique ni Etat ; elle n’entend pas exporter des principes et
des valeurs. En cela elle présente de nombreuses similitudes avec la
conquête de l’Ouest menée par les colons américains et avec le sort qui fut
réservé aux indiens. Pour ce faire, Israël a
nié l’existence même de tout un peuple, de sa mémoire, de ses droits
historiques et nationaux et bafoué le droit international. Des actes, vous en
conviendrez, peu recommandables et pour le moins répréhensibles au regard du
démocrate républicain que vous êtes et du futur Président de la République
française.
Vous considérez le boycott illégal au regard du droit
français mais qu’en est-il alors de la colonisation ? Ignorez-vous qu’en
vertu du droit international les colonies israéliennes, sauvages ou non, sont
illégales ? Elles le sont tout autant selon le droit
israélien. L’Etat d’Israël est ainsi dans l’illégalité la plus absolue au
regard du droit international mais aussi en porte-à-faux avec toutes les
valeurs portées par la France… Est-il besoin de vous rappeler que l’Assemblée
Nationale, qui représente le peuple souverain, a recommandé au gouvernement de
reconnaitre l’Etat de Palestine ? Que la France par la voix de M. Fabius -
alors ministre des Affaires étrangères d’un gouvernement dans lequel vous étiez
ministre - puis par celle de M. Ayrault, avait exprimé son intention de
reconnaître la Palestine en cas d’échec de la Conférence de Paris. Une
initiative diplomatique française par ailleurs snobée par Israël à
l’instar de toutes les autres conférences et propositions de paix
passées et à venir.
Vous vous prononcez contre une reconnaissance
"unilatérale" de la Palestine, alors que la colonisation est
l'essence même de l'acte unilatéral. Il est vrai que seul Israël a le droit de
s’adonner à des actes unilatéraux et illégaux. Vous
revenez ainsi sur les engagements de la France et sur ses responsabilités
internationales.
Toutes ces considérations s'effacent-elles donc en raison du caractère
illégal du boycott ? Une décision qui plus est constitue une atteinte flagrante
à la liberté d’expression et d’association.
Vous qui êtes en résistance contre le fascisme, qui en bon
républicain lui opposez la liberté, l’égalité, la diversité, vous n’êtes
pourtant pas en mesure d’exprimer la moindre solidarité pour la cause du peuple
palestinien victime de l’occupation, de l’oppression, du racisme et de la
ségrégation. Vous rejetez d’un revers de la main toute possibilité de
résistance même sous sa forme la plus pacifique, légitime et citoyenne et
condamnez sans appel un mouvement mondial de solidarité.
Qu’en est-il de vos engagements envers la défense des
valeurs des Lumières, de l’humanisme, de la République et de celles de
l’Europe ? Qu’en est-il de vos plaidoyers en faveur de l’ouverture, du
multiculturalisme, de la coexistence, de l’égalité, de la diversité et de la
laïcité? S'arrêtent-ils aux frontières de la France et de l'Europe ?
Le 10 avril, tout en prétendant comme il se doit défendre
la solution des deux Etats, vous avez persisté dans l'erreur en vous aventurant
encore plus loin, vous prononçant sans équivoque contre les efforts visant à
faire reconnaître l’Etat palestinien. Vous avez
déclaré - contrairement à Benoît Hamon, Laurent Fabius, François Hollande
et Jean-Luc Mélenchon - qu’une telle reconnaissance était “anticipée”,
« provoquerait de l’instabilité », ne “servait à rien” et qu’elle
provoquerait des “déséquilibres”. Vous exprimant sur Radio J, vous avez
ouvertement rompu avec la politique consacrée par le gouvernement et
affirmé que la reconnaissance de l’Etat de Palestine « ne servirait les
intérêts de personne » et ne ferait que générer plus
« d’instabilité » encore. « La clé, c’est de reconnaître des
Etats vivant dans ce même secteur, par un travail de rééquilibrage en vue
de bâtir la paix. Si la France s’engage dans une reconnaissance unilatérale
d’un Etat Palestinien, nous contribuons alors à une perte d’équilibre et nous
affaiblissons la capacité de la France à jouer un rôle dans la stabilité
régionale et dans ce conflit ».
Vous semblez être né de la dernière pluie ou débarquer de
Mars.
Une reconnaissance « anticipée » et
« unilatérale » ??
En effet, la résolution de partage de la Palestine ne date
que de 1947, la résolution 242 du Conseil de sécurité remonte seulement de 1967
et 24 petites années se sont écoulées depuis les accords d'Oslo... Alors
que la Palestine a accédé à l’UNESCO en 2011 et a été reconnue comme Etat
observateur par l’Assemblée générale des Nations Unis le 29 novembre 2012 par
138 voix pour et 9 contre, vous considérez qu'une reconnaissance par la France
serait unilatérale. Vous affichez ainsi un mépris flagrant pour les résolutions
des Nations Unis, pour les recommandations du quartet ainsi que pour la
solution des deux Etats soutenue officiellement par la France, par l’Union
Européenne par les Etats Unis et par l’ensemble de la communauté
internationale.
Pour un partisan convaincu d’une Europe forte et solidaire, vous adoptez
une attitude en contradiction avec celle de nombreux pays européens mais aussi
avec celle de la Représentante européenne pour la politique étrangère ainsi
qu'avec celle du Parlement européen qui appelle depuis 2014 à la reconnaissance
de la Palestine.
Une reconnaissance « déséquilibrée » et génératrice
« d’instabilité » ??
La situation actuelle et l'équilibre des forces en
présence vous semblent-ils équilibrés ? A vous entendre, le
Moyen-Orient serait un havre de paix et de stabilité et l’absence d’un Etat
palestinien n’est en aucun cas une cause d’instabilité et d'insécurité;
le chaos et le désordre qui règnent au Moyen-Orient depuis un siècle
n'auraient aucun lien avec la question palestinienne qui ne suscite ni
injustice, ni guerre, ni violence, ni terrorisme.
Quel équilibre est-il possible entre les Palestiniens et
l’armée la plus puissante du Moyen-Orient qui possède l’arme nucléaire et
bénéficie du soutien de la plus grande puissance mondiale ?
Entre les Israéliens et les Palestiniens, que ce soit dans
la guerre ou lors des négociations, il n’existe aucun équilibre, ni des
rapports de forces, ni des moyens et, certainement pas un équilibre de la terreur.
Si telle est votre conception du déséquilibre, permettez-moi alors de
m’interroger sur celle de l’équilibre qui est la vôtre. Si vous comptez suivre
la même approche pour le dialogue social, pour les négociations au sein des
entreprises, pour l'égalité des chances et la répartition des richesses, il y a
de quoi avoir de sérieuses inquiétudes. Vos propos reflètent la même conception
biaisée et irréaliste que vous avez des rapports de forces économiques et
sociaux. Vous préconisez les mêmes disparités que celles qui président aux
rapports sociaux notamment dans le cadre des négociations au sein de
l'entreprise où l'employé et le salarié se retrouvent en position de faiblesse
et ne font pas le poids face aux pressions du patron. Un face à face perdant et
mortifère tout comme celui qui a lieu entre Israéliens et Palestiniens dans le
cadre de négociations qui marginalisent le droit international et où les
Palestiniens sont laissés à eux même.
Après le déséquilibre en faveur du patronat, des actionnaires, de la
finance, de la dérégulation et de la déréglementation du travail, voici le
déséquilibre appliqué à la politique étrangère, le même deux poids deux mesures
qui a discrédité l’Occident et affaiblit la diplomatie française.
Vous semblez aussi peu concerné par la justice
internationale que vous ne l’êtes par la justice sociale. Après la dérégulation
financière et la dérèglementation du travail, voici la dérégulation du droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes et la dérèglementation du droit
international. Une transposition aux relations internationales des règles
de la finance, des disparités et des déséquilibres qui en découlent. Un remake
de la loi de la jungle où le plus fort avale le plus faible.
« Une reconnaissance qui ne servirait les intérêts de
personne »?
Il s'agirait plutôt de l'inverse. Bien au contraire elle
servirait les intérêts de tous - de l'ensemble de la région et du monde entier
- hormis bien sûr celui de l’extrême droite israélienne dont vous vous faites,
inconsciemment ou non, le porte-parole alors même que vous êtes engagés
dans une lutte contre l’extrême droite en France. Elle sert en premier lieu
l’intérêt du peuple Israélien, l’avenir de l’Etat d’Israël, de sa démocratie et
de la paix. Elle sert la justice internationale et la crédibilité des
Nations Unis fort mises à mal par les violations constantes et répétées
d’Israël. Le droit international est-il uniquement, par ailleurs, une question
d’intérêt ? La justice n’a-t-elle de valeur que si elle sert des
intérêts, et ceux de qui ?
Allez demander aux Palestiniens à quoi cela servirait de
reconnaître leur Etat, et à quoi cela a servi jusqu’à présent de ne pas le
faire… Le statu quo actuel a servi à
renforcer le fait accompli, à maintenir l’occupation, à favoriser l’expansion
des colonies, à anéantir le processus de paix, à alimenter la violence, la
guerre, la montée des intégrismes et du terrorisme que vous affirmez vouloir
combattre sans merci afin de protéger la France.
Toujours lors de votre visite au Liban, vous avez
revendiqué une filiation « gaullo-mitterrandienne »
de votre vision géopolitique : « La présence de la France a
globalement reculé au Moyen-Orient, au Maghreb et en Afrique, son continent
frère. (...) La parole de la France porte moins. (…) Sa place dans la résolution
des crises est moins centrale (…). Le rôle de la France est
de mener une politique d’indépendance et d’équilibre qui
permet de parler à tous, et d’assurer la construction de la
paix ».
Est-ce ainsi que vous comptez rétablir le rôle de la
France, sa place, son aura, le respect qui fut le sien dans le monde arabe, son
rayonnement comme patrie des droits de l’homme et du droit
international ?
Nos valeurs, Monsieur Macron, sont ce que nous en faisons
et le moins que l’on puisse dire c’est que votre position est peu compatible
avec les idéaux dont vous vous revendiquez. Sur la Palestine vous avez
fait preuve d’un manque d’humanisme, de discernement et de vision.
Cher M. Macron, moi aussi je vous ai
malheureusement compris et j’ai perçu toute l'étendue et l’ampleur de votre
duplicité et de votre hypocrisie. Décidément, le doute et l’ambiguïté vous
vont beaucoup mieux que la clarté, à tout le moins ils vous attribuaient
jusqu'alors le bénéfice du doute.
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