Le 25 mai 2000, Tsahal entamait un retrait forcé acculée par l’action continue, les coups
d’éclats et de butoirs d’une Résistance déterminée, tenace et héroïque. Ce
retrait sans négociations ni accord préalable d’un territoire arabe constitue
une première dans les annales du conflit israélo–arabe ; la preuve s'il en fallait qu'Israël ne
comprend et ne respecte que le langage de la force et la logique de la
confrontation[1]. Ce
n’est pas un hasard si Hassan Nasrallah est à ce jour l’un des seuls leader
arabe à exercer un tel pouvoir d’influence et à avoir un tel impact tant sur les dirigeants que sur
l’opinion publique en Israël. Aussi,
chacun de ses discours, de ses prises de positions, chacune de ses mise en
garde, de ses menaces sont scrutées, prises très au sérieux, font l’objet d’une
large couverture médiatique et suscitent de fortes réactions chez les
dirigeants politiques, sécuritaires et militaires.
Seize ans plus tard, la donne n’est plus la même, loin
s’en faut.
Le contexte, tant international, régional, que local, a
changé et la géopolitique du Moyen Orient a connu des bouleversements
considérables. Le Liban a subi de nombreuses secousses, dont une autre
libération suite au retrait des forces syriennes, l’assassinat du Premier
ministre Rafic Hariri, la guerre de 2006 et ses conséquences ainsi que la longue
confrontation stérile entre les deux blocs du 14 et 8 Mars. Des secousses qui
n’ont pas épargné l’ensemble du monde arabe, Etats, régimes,
nations et peuples confondus, modifiant profondément la configuration, les
équilibres, les rapports de forces et alliances.
Ces bouleversements durables aux incidences toujours en
cours n’épargnent pas le Hezbollah, ses alliés régionaux et ses soutiens
locaux.
La perception, la nature et le rôle de
cette « résistance » s’en trouvent modifiés et éprouvés ; elle
est désormais confrontée à des menaces
protéiformes à la fois internes et externes. Source de tension au niveau
national, le Hezbollah est considéré comme un danger tant au niveau local que
régional. Même la guerre de 2006 et sa victoire face à Israël, du moins sa
non-défaite ou sa victoire par défaut, ne sont paradoxalement pas parvenu à
dissiper les réserves et les remises en cause quant à la légitimité et la
légalité de son rôle, bien au contraire les animosités n’ont fait que croitre.
La menace israélienne est plus présente que jamais ;
elle nécessite vigilance, fermeté et dissuasion face au gouvernement le plus à
droite de l’histoire d’Israël et le moins disposé à signer la paix. Il n’en
demeure pas moins la nature des
opposants et des ennemis, internes et externes, s’est considérablement diversifiée ;
ils sont désormais plus nombreux et leur présence géographique est plus diffuse
notamment depuis la guerre en Syrie où le Hezbollah a adopté le principe de la
« Meilleure défense c’est l’attaque ». Aussi, de nouveaux fronts se
sont ouverts et les défis - politiques, militaires et économiques - se sont
multipliés contraignant la « Résistance » à adapter ses réponses, son
discours ainsi que sa stratégie, notamment face aux groupes armées djihadistes.
De symbole de la lutte contre Israël, du plus prestigieux
mouvement de libération arabe, le Hezbollah se retrouve labélisé en tant que
groupe terroriste par le CCG, la ligue arabe et l’OCI, alors même qu’il est
représenté au sein des institutions libanaises et que son statut de résistance à été entériné par plusieurs déclarations
ministérielles depuis 2005. Une criminalisation qui plus est intervient 10 ans
après un deuxième succès face à Israël, qualifié de « Victoire Divine »
par le Hezbollah à l’issue de la guerre dites des 33 jours.
« Terroriste » est un terme générique utilise par des Etats ou
des envahisseurs pour discréditer un mouvement et en délégitimer les
actions. L’unanimité de façade autour du
Hezbollah et de son rôle s’est lézardé, mise à mal par la guerre de 2006 et
l’assassinat de Hariri. Son image de « résistance » nationale s’est
érodée au fur et à mesure qu’il s’est invité dans le jeu politique interne et
que son rôle régional s’est développé au détriment de sa dimension nationale.
Il se présente désormais sous une double casquette, celle d’une « résistance »
contestée, encore plus depuis qu’elle est impliquée hors des frontières
libanaises, et celle d’un parti politique immergé dans le système de
pouvoir libanais; enlisé à l’instar des autres acteurs politiques dans une logique
communautaire et sectaire.
Le passage d’un statut de résistance à celui de parti est
un phénomène complexe et périlleux ; il constitue souvent une pierre
d’achoppement au processus de reconstruction étatique et de recouvrement de la
souveraineté.
L’intégration des mouvements de résistance et de
libération nationale[2] dans
les périodes post-libération ainsi que leur désarmement sont des problématiques
courantes aux pays victimes d’occupations. Cette question est d’autant plus
délicate lorsque l’occupation d’un pays se couple d’une guerre civile sur base
confessionnelle.
A plus d’un aspect, le cas du Hezbollah ce distingue par
sa singularité et une grande complexité, ce qui ne simplifie pas la donne. Ce
dernier dispose toujours de sa branche armée et d’un arsenal militaire
considérable qui n’a eu cesse de se renforcer et ce en dépit de l’existence
d’un Etat, nonobstant ses faiblesses et ses suffisances, et d’une armée
nationale existante mais aux moyens limités.
De plus, sa composition confessionnelle homogène et
l’exacerbation du conflit sunnite-chiite, rendent cette question encore plus
insoluble.
Enfin sa liberté d’action vis-à-vis de l’Etat
libanais ; sa propension à intervenir au-delà des frontières ; ses
liens avérés et reconnus avec l’Iran, les ramifications et enjeux régionaux des
conflits sont autant de facteurs qui font que le Hezbollah déborde le cadre
national libanais.
Quoi qu’il en soit, le 25 mai, le Liban a connu un regain
de souveraineté relative, une libération certes mais incomplète non seulement
parce qu’une partie du territoire demeure sous
occupation mais aussi parce qu’elle ne s’est pas
accompagnée d’une autre libération tout aussi essentielle : celle des
esprits, des consciences, des peurs, des complexes, de la mémoire, de l’individu, du citoyen, des pratiques déviantes confessionnelles et
clientélistes, du suivisme, de la corruption, de l’inertie du système
politique, du dysfonctionnement des institutions, d’une culture politique
déficiente et anachronique. S’il a recouvré en partie sa souveraineté
territoriale, le Liban n’est pas parvenu
pour autant à récupérer sa souveraineté politique, son autonomie décisionnelle,
ni à procéder à des changements et des réformes politiques, administratives et
constitutionnelles. Il a ainsi maintenu en l’état des institutions héritées de
l’occupation mais aussi les pratiques politiques qui s’y rattachent. Aussi, il
ne parvient pas à se défaire des insuffisances, des incohérences et des
contradictions de sa Loi organique. En résulte un blocage
politico-institutionnel quasi permanent couplé d’une difficulté systématique à
procéder au renouvellement des élus ainsi qu’aux nominations dans l’appareil
d’Etat
Ainsi, depuis 2014, le 25 mai[3]
représente aussi un évènement moins heureux, celui de la vacance présidentielle
qui est entrée dans sa troisième année. L’incapacité,
désormais chronique, à élire un président, tout comme à renouveler les
institutions, le mandat des élus et à
procéder aux nominations administratives et sécuritaires sont le signe certain
de l’essoufflement démocratique du système libanais et de la défaillance de ses
mécanismes constitutionnels.
Certes les armes du Hezbollah constituent à la fois un
obstacle, non des moindres, et un prétexte à l’avènement d’un Etat de droit, au
fonctionnement des institutions, au respect du jeu démocratique et à la
souveraineté régalienne du Liban.
L’incapacité à mettre en œuvre une stratégie de défense
claire et cohérente afin de codifier l’action du Hezbollah et l’usage de ses
armes contribue à exacerber un climat déjà tendu.
La formule « Peuple, armée, résistance »,
adoptée par certaines déclarations ministérielles, ne fait sens et ne serait être
constructive que si elle est encadrée par l’Etat. Une telle équation suppose un
ordonnancement, l’existence d’une hiérarchie à la tête de laquelle se trouve
l’Etat et le pouvoir politique. Le peuple est partie intégrante de l’Etat, il
en est un élément constitutif ; c’est du peuple, détenteur supposé de la
souveraineté, que procède l’Etat. Tant l’armée que le peuple sont soumis à loi,
à l’autorité civile et au pouvoir politique issu du suffrage universel. Cela
est d’autant plus vrai pour la « résistance » qui doit allégeance à l’Etat
et donc au peuple qui en est partie intégrante et l’élément constitutif. Du
reste c’est du peuple, détenteur supposé de la souveraineté, que procède
l’Etat.
Aussi, l’action de la résistance pour être légitime et
légale doit se faire en coordination et sous le contrôle des forces armées ce
qui implique une subordination de fait. Ni « règle en or » ni « règle
en bois » mais plutôt une exception en or. Aussi cette formule nécessite
le rajout d’un quatrième élément déterminant, dont la présence devrait aller de
soi, et qui chapeaute le tout : l’Etat. A circonstances exceptionnelles,
mesures exceptionnelles. Par nature, toute exemption se doit d’être provisoire,
définie dans le temps et la durée ; présenter des objectifs et une
finalité univoques, être rigoureusement encadrée et codifiée quant aux
modalités de son action et de sa coordination avec les appareils sécuritaires
étatiques. C’est à cette condition que le Hezbollah peut constituer un
véritable facteur de puissance pour le Liban ; faute de quoi il sera
irrémédiablement à terme, une cause de dissension et de faiblesse.[4]
Des ambiguïtés et des confusions que ni le Hezbollah, ni
ses alliés encore moins ses détracteurs ne sont parvenus à dissiper faute d’un
dialogue sérieux, ciblé, adapté, technique et rationnel. Dès l’origine, les négociations
autour d’une politique de défense ont été biaisées dans les termes mêmes du
débat, et ce pour d’innombrables raisons : Pressions et interventions
extérieures, intentions équivoques, manque de bonne volonté, méfiance mutuelle,
amateurisme des participants, approche erronée, inadaptée et politisée de la
question, attitude velléitaire du Hezbollah, agendas régionaux variés et
antinomiques.
S’il dispute à l’Etat le monopole de la souveraineté, le
Hezbollah contribue aussi paradoxalement, et d’une certaine manière, à la
protéger. S’il expose le Liban, pour certains aux répercussions de la guerre en
Syrie, pour d’autres aux représailles israéliennes, il n’en renforce pas moins
de façon substantielle les moyens défensifs et la force de dissuasion du pays
au point même d’instaurer un nouvel équilibre des forces face à Israël. Il
constitue aussi une carte inestimable dans le cadre de future négociation de
paix pour le règlement, plus hypothétique que jamais, du conflit israélo-arabe,
mais aussi, du fait de son poids sur le terrain, éloignerait le spectre de tout
accord en Syrie qui se ferait au détriment du Liban. Pour beaucoup, il est
aussi depuis toujours un rempart contre l’implantation palestinienne et à
présent contre celle des Syriens ainsi qu’un contrepoids utile à l’intégrisme
sunnite. Il a joué un rôle militaire essentiel en contenant et repoussant les
mouvements djihadistes, tant le Front el Nosra que Daech au Liban, épaulant
efficacement l’armée libanaise notamment dans le Jurd d’Ersal et de Qaa. Une
coordination de fait - constante, permanente et déjà ancienne - avec l’armée libanaise, motivée par des
impératifs stratégiques évidents et qui n’aura pas attendu l’hypothétique mise
en place d’une stratégie défensive pour produire ses effets.
Aussi, son rôle et l’étendue de son action ont évolué au
fur et à mesure des menaces, mais la question des limites et de la finalité de
son action demeure plus pertinente et légitime que jamais de même que les
inquiétudes qu’elle suscite.
Il n’en demeure pas moins que l’ensemble des ratés, des
échecs, des blocages et des dysfonctionnements du système politique, ainsi que
le déficit démocratique et les atteintes répétées à la Constitution ne sauraient
être attribués au seul Hezbollah, loin s’en faut. S’il est partie prenante du
problème, il n’en est pas la seule et encore moins l’unique source. En effet, les
responsabilités sont partagées et diffuses ; les causes nombreuses, multidimensionnelles
et protéiformes.
Le Liban souffre avant tout de difficultés d’ordre
structurelles, pour certains biens antérieures à l’apparition du Hezbollah et
liés à l’essence même du système politique libanais. A cela s’ajoute d’autres
facteurs explicatifs, et non des moindres, qui participent à la faillite de
l’Etat : Les atteintes répétées au principe sacro saint de la parité ;
la non application de nombreuses réformes prévues par les accords de Taëf, le
plus souvent au détriment des chrétiens et du fonctionnement des
institutions ; l’exigence systématique de consensus, leitmotiv des forces
politiques qui ne couvre pas les règles institutionnelles et politiques encore
moins les questions fondamentales comme celles relatives à l’interprétation de
la constitution, à la politique de défense, à la politique étrangère, à la loi
électorale et de nombreuses autres qui touchent à la parité, au pacte et à la
formule.
Enfin, l’inaptitude et l’incohérence des dirigeants, leur
impunité chronique, leur manque de culture démocratique (A l’instar des
gouvernés), participent aussi au dysfonctionnement du système politique.
Seize ans après la libération du Sud-Liban, les forces
politico-confessionnelles sont encore trop occupées à s’affronter et à se
défaire tant les unes des autres que du pacte qui les lie. Plus que jamais, le Liban doit s’émanciper du statu quo du vide et entamer un vaste
chantier de réformes politiques, administratives et juridiques existentielles
pour le modèle libanais de coexistence et de gestion égalitaire du pluralisme.
Il est impératif de rationaliser le
système confessionnel libanais et les mécanismes de sa démocratie consociative
mais aussi de parvenir à une meilleure compréhension et une traduction juridique
et institutionnelle des termes du pacte national et de la formule, afin de permettre
l’avènement d’un Etat civil et l’émergence d’un citoyen détenteur d’une
véritable souveraineté juridique et politique.
[1] Au cours
de sa courte histoire, l’Etat hébreux n’aura consenti à des concessions, des
négociations, des accords ou des rétrocessions de territoires que lorsqu’il dût faire face à des
oppositions acharnées, des résistances armées, des revers militaires et des
modifications de rapports de force.
[2] Que ce soit en tant que supplétifs à un Etat absent,
avili ou occupé, ou en tant que soutien à un Etat affaibli, défaillant ou à la
souveraineté amputée.
[3] Par ailleurs cette date coïncide, à un jour près, avec celle
de l’élection il y a 90 ans, du premier président de la république libanaise
Charles Debbas, élu le 26 mai 1926, trois jours après l’adoption de la première
constitution libanaise, 23 mai 1926.
[4] La stratégie de défense, ses objectifs, ses modalités et sa mise en œuvre
constitue un sujet fort complexe, une question
qui nécessiterait une étude approfondie.
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