Depuis
des décennies nous prorogeons le même état de fait, la même classe politique médiocre, des institutions léthargiques, le déni de réalité. Nous perpétuons un état de guerre sous latent,
nous nous entêtons dans l’erreur et entretenons notre impuissance, nos méfiances, nos peurs,
nos phobies et nos suffisances; nous reportons l’inéluctable, le changement.
L’illusion du pouvoir pour le pouvoir, un pouvoir sans autorité et des
autorités dépourvues de pouvoir..
Une voix,
un vote, une seule fois ! Le vote est synonyme d’une procuration à vie,
inaliénable et définitive. Il s’agit de notre droit citoyen le plus sacré, un
droit collectif et individuel, qui représente la quintessence du contrat
social, une procuration, le transfert de notre droit, la délégation de notre
souveraineté, de notre liberté et de la charge de sa protection. En l'exerçant une fois nous nous en délestons et y renonçons
parfois le temps d’une vie.
Un refus
systématique de recourir en toutes circonstances au peuple, de s’en remettre à son verdict (qui s’apparente à de la vindicte) populaire, de se soumettre aux règles de la
compétition politique et du débat institutionnalisé. Aussi, nos trop rares alternances sont laborieuses et sans alternatives réelles et la représentativité se passe d'élections.
L’alternance
étant perçue comme une menace à la survie, l’élimination pure et simple du
perdant, sa marginalisation ou pire une menace existentielle à l’identité
et à l’avenir du pays. L’élection ressemble à un coup d’état, un risque
aux conséquences incalculables, aux incidences communautaires, nationales et
régionales imprévisibles.
L’adversaire
n’est pas comme il se doit un concurrent politique mais un ennemi qu’il faut contenir et avec
qui on consent à partager le pouvoir non pour coopérer mais pour mieux le
contrer. Dans cette optique la cohabitation politique ne saurait être
productive.
Quand
dans un pays la victoire, ou sa seule éventualité, électorale ou politique d’un
adversaire et son ascension au pouvoir sont perçues par ses opposants comme un
danger imminent pour la survie et l’avenir du pays, ou pour l’existence
politique, idéologique, voir physique et identitaire d’un
groupe, d’une communauté ou d’un courant politique nous ne sommes plus en
démocratie, nous ne sommes même plus une nation. Lorsque le clivage n’est plus
entre ‘’nous’’ mais entre ‘’eux’’ et ‘’nous’’, qu’il ne se décline
pas en terme politique mais identitaire, sectaire et religieux la nation n’est
plus qu’une chimère.
La parité
ce n’est pas le chacun pour soi, le chacun chez soi, mais le vivre ensemble.
L’axiome du ‘’ni vainqueur, ni vaincu’’ est un jeu à somme nulle qui alimente la
continuité d’une cohabitation stérile au sommet du pouvoir et des instances
décisionnelles et rend toute gouvernance inopérante. Telle que comprise,
appliquée et pratiquée, la règle du ‘’ni vainqueur ni vaincu’’ s’étend (à
l’instar du concept de consensus) à l’ensemble du processus politique,
électoral et décisionnel. A l’instar de la notion tant débattue de
‘’consensus’’, l’acception de ce principe devrait se limiter aux normes
constitutionnelles et recouvrir les principes généraux, les règles
de la compétition politique et le fonctionnement des institutions.
Dans les
faits, cette règle qui fonde un consensus négatif sert surtout au maintien du
statut quo :
Afin de ne disqualifier personne il faut faire match nul ou même annuler la compétition afin que personne n’y participe, surtout pas le peuple. La démocratie du ‘’personne n’a perdu’’, même si à terme les pertes sont inestimables pour l’ensemble de la nation.
Afin de ne disqualifier personne il faut faire match nul ou même annuler la compétition afin que personne n’y participe, surtout pas le peuple. La démocratie du ‘’personne n’a perdu’’, même si à terme les pertes sont inestimables pour l’ensemble de la nation.
Cela
traduit aussi un refus systématique de se soumettre à la rude mais nécessaire
épreuve du bilan et des résultats, critères les plus rationnels auxquels
doivent se soumettre les tenants de tout mandat électif mais aussi
administratif et politique.
Nous
n’avons pas évité le vide, tout au plus prolongé et consacré le statut quo du
vide, ainsi que le maintien de ceux qui l’entretiennent. Ils perpétuent ainsi
un système politique qui assure leur présence et l’illusion de leur
pouvoir ; un pouvoir dépourvu de toute autorité réelle, limité à une
faculté d’obstruction et de blocage.
Le vide
c’est l’éviction du peuple, le refus récurrent de s’en remettre à son arbitrage
et à celui des institutions. La peur du vide et de ses conséquences (chaos,
effondrement des institutions) constitue un chantage permanent.
Le vide
politique s’est instauré lorsque nous avons décrété opportunément que la
démocratie consociative n’était que cooptation, compromission, échange de bons
procédés ; l’entente ponctuelle et conjoncturelle en tout lieu et
tout temps sur toutes choses hormis nos valeurs fondamentales et les règles
éthiques, morales et juridiques du jeu politique.
S’entendre
sur rien ou sur ce qui contrevient à l’intérêt général et au bon sens, mais
jamais sur l’essentiel, le fondamental, l’univoque, l’immuable, sur ce qui
définit le tout.
Si la
nature a horreur du vide, cela ne semble pas être le cas en nos contrées. Notre
nature aurait plutôt tendance à le créer, à lui consacrer une dévotion, à
l’élever au statut d’objectif de haute politique.
Depuis
des décennies nous persistons dans l’erreur, les erreurs passées justifiant
celles à venir qui elles mêmes justifient celles commises par le passé. Nous
continuons à administrer un mal pour en compenser un autre et
tentons de créer une rationalité de la transgression. Nous perpétuons le règne
de l’absurde, d’un état de guerre sous latent, et entretenons notre
impuissance, nos phobies, la paranoïa, la schizophrénie, la cohabitation de la
peur, la coexistence par défaut.
Insouciance,
incompétence, ignorance, intolérance, mauvaise foi, gabegie, corruption, abus
de pouvoir, clientélisme, enfreintes aux lois et aux règlements, atteintes aux
libertés, sont les traits et les pratiques du pouvoir et de ceux qui entendent
l’incarner.
Aussi
c’est le concept de pouvoir même qui est dans l’impasse, et les perceptions de
ses attributs, tant chez les gouvernants que les gouvernés. Ce sont sa
fonction, son utilité, sa pratique et sa finalité qui sont brouillés, voir
détournés. Le pouvoir pour le pouvoir, des autorités sans pouvoir, un pouvoir
sans autorité.
Des
gouvernants dépourvus de l’autorité réelle et effective, dans l’impossible de
gouverner, d’agir, de proposer, de mettre en œuvre les prérogatives théoriques,
disputées et controversées, auxquelles se rattachent les titulaires des
fonctions étatiques et les représentants des communautés respectives qui s’en
réclament.
Le
pouvoir ou la grande illusion ! Le pouvoir il ne suffit pas d’en avoir,
d’y accéder et de le conserver, encore faut-il être en mesure de l’exercer.
Tous
n’ont qu’un seul pouvoir, celui de bloquer, de s’opposer, de se neutraliser
mais aucuns ne sont à mêmes de proposer, de prévoir, de construire et de
gouverner. Gouverner c’est prévoir, savoir, vouloir et pouvoir.
Personne
n’est parvenu à gouverner, ni par les armes, ni par l’argent, ni par les urnes
ni par consensus.
Lorsqu’ils
ne sont pas en mode démissionnaires, intérimaires ou en déficit de légitimité,
réduits à expédier les affaires courantes, les gouvernements, nonobstant leur
forme, structure ou composition (Gouvernement d’union nationale, d’urgence
nationale, majoritaire, avec ou sans tiers de blocage), soumis aux impératifs
de l’obligation vague et indéfinie du consensus politique et de l’unanimité,
sont dans l’incapacité de gouverner.
Une
république incapable à chaque échéance de renouveler ses dirigeants, de s’en
remettre à l’alternance, n’est plus la chose publique mais une chasse gardée
privée en rupture avec la loi, le bien commun et le peuple.
Les
institutions ne constituent pas un Etat encore moins un garde fou si elles
peuvent être détournées, paralysées, confisquées autant par un seul homme
que par ceux qui en ont la charge. Elles ne doivent pas valoir ce que valent
les individus qui la composent. Elles doivent être ‘’incontestables’’
selon Lévi-Strauss, aussi leur légitimité doit reposer ‘’à la fois sur un
principe de constance et une exigence de filiation’’. Principe de constance car
‘’les institutions ne valent pas, à un moment donné, ce que valent les
individus qui la composent. Bien au contraire dès qu’ils souhaitent lui appartenir
et qu’ils sont acceptés par elle, ces individus viennent confondre leur valeur
propre dans l’établissement qu’ils ont pour mission de maintenir, jusqu’à ce
que d’autres les remplacent et se chargent à leur tour de
perpétuer’’.
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